Dès ma venue au monde...ou même avant...je ressentais une absence de quelque chose de vitale...je ne saurai vous dire ce que c'était cette chose, mais elle n'était pas là. Le grand froid, le vide, un manque à en crever le coeur.
J'étais accueilli dans l'indifférence totale; ma maman n'a pas survécu ma mise au monde et mon papa ne savait pas quoi faire avec ce bébé, cette chose qui criait et pleurait.
Pendant quelques mois, une femme du village m'a donné son sein, m'a nourri, sans plus. Mon papa s'en est allé chercher une autre femme et s'est marié. Mais cette femme, me repoussait...je voyais bien la différence de traitement que je recevais d'elle et de mon papa et celui qu'ils donnaient à leurs nouveaux enfants... je me sentais seul, j'avais faim. Il m'arrivait de trouver un peu de chaleur et de nourriture chez les chiens qui vivaient dans le village. Plus que je grandissais, plus que je m'éloignais de la maison, dans l'indifférence totale de ma "famille".
Et ainsi un jour je rencontrai un autre garçon, pas plus âgé que moi, qui m'emmenait dans un groupe...et me présenta au leader, qui m'a donné de quoi manger et m'a dit que je pouvais rester. Tant qu'à faire. Au moins je sortais de cette solitude, ce vide. On m'a appris à tirer avec un arme...on rigolait, on avait de quoi manger. J'ai commencé aussi à consommer du brown brown, une sorte de mélangé de cocaine et de la poudra à armes à feu..et le monde était plus supportable.
On m'a initié au meurtre. C'était assez abstraite comme notion.. le monde me semblait si différent de quand j'étais plus petit. Ici, plus que je tuais, plus que j'étais fort. Les grands rigolaient quand je tirais bien. C'est fascinant la couleur du liquide qui sort des personnages sur lesquels je tirais. Le monde était assez noir et blanc, mais je me souviens toujours de cette couleur rouge vive...comme si cela sortait du décor.
Mes camarades aussi parfois se faisaient tirer dessus.. et ils avaient cette même couleur de liquide qui me fascinait. J'avais toujours ce froid en moi, mais je n'étais plus seul. J'étais admiré, estimé, fort! J'étais quelqu'un! Il y a eu des petits instants, que des sensations me brûlaient dans mon coeur, dans mes pensées, c'était désagréable, comme un sentiment que quelque chose manquait. Mais cette sensation était vite oublié, rendue au néant avec le brown brown. Ou sinon un peu de colle, ça le fait aussi, ça, faute de plus.
L’insensibilité est protectrice, comme une maman. Enfin, c'est que je pensais, je n'ai pas connu de maman, donc je ne peux pas comparer. Mais je m'imagine qu'une maman te protège contre ce qui peut blesser. Et ces sensations me blessaient.
Puis un jour, il ne restait plus grande monde dans ma groupe. Pour une raison qui m'échappait, on ne tuait plus. Les grands s'en sont allés, et je suis resté dans la rue avec quelques autres de mon âge. Il y avait aussi Suna, un peu plus jeune que moi, qui couchait avec les grands. Elle avait l'air mal en point. Il n'y avait plus de brown brown, et ces sensations ont commencé à faire surface. J'étais mal, mais loin de moi de l'avouer, car j'étais un homme fort! Je te tue avant que tu puisses me toucher!
Plus de maman protectrice, plus de colle ou autre chose...au fond de moi, mais bien au fond, j'avais des douleurs, des fortes douleurs, mais je ne savais pas quoi faire avec. Le monde a commencé à prendre des formes, des couleurs, plus aiguisées. Et ça coupait mon coeur. Quelque chose en moi avait, comme un monstre, besoin de crier cette douleur, mais je ne savais pas d'où elle venait.
Puis est venue une groupe de personnes, des grands eux aussi...je me suis bien méfié d'eux au départ. Mais ils revenaient et nous donnaient à manger...ils nous parlaient aussi. Plein de questions ils avaient, et cela faisait bizarre, car le monstre à l'intérieur de moi, voulait sortir, et je savais que si je le laissais, j'allais avoir mal. Mais leurs questions et leur intérêt en moi, me faisaient du bien en même temps.
Je pense qu'il est temps pour moi, de laisser le monstre sortir, même si ça fait mal, je pense que ces grands vont pouvoir m'aider à remplir ce vide en moi, m'apprendre comment vivre dans ce monde rempli de couleurs.
Parfois dans la vie, ai-je appris, faut faire confiance pour grandir. Parfois faut savoir accepter la main tendue. Parfois faut passer par les douleurs qu'on s'est cachées, pour apprendre à trouver sa propre identité, que je croyais perdue à tout jamais. Je sais être quelqu'un sans arme, sans drogue, je sais ce que cela fait de vivre sans chaleur, sans âmour, et cela me donne le courage d'aider d'autres enfants comme je l'étais jadis.